jeudi 12 avril 2012

On n'est pas rendus...

Depuis quelques années il y a dans beaucoup de grandes entreprises allemandes des "projets" qui visent à faire prendre conscience aux petits chefs, moyens chefs et grands chefs que lors des embauches, il serait de bon ton de faire preuve d’ouverture et de tolérance et de donner leur chance aux "minorités", j’ai nommé : les étrangers/gens d’une autre couleur de peau, les handicapés et surtout… les femmes. Ma boîte s'investit donc à fond les ballons dans l'embauche des femmes, ce qui sur le papier sonne plutôt bien. Le souci à mes yeux, c’est que cette offensive se fait à partir de l'imposition de quotas. La façon de procéder, cachée sous de l'esbrouffe marketingesque ("vive les différences, vive la diversité, vive les mélanges"), c’est de décréter que chaque département par exemple devra avoir 20% de femmes. Dans la liste des buts de Super Boss pour cette année (sur laquelle il va être jugé à la fin de l’année et dont va dépendre la partie variable de son salaire, du style si ses buts sont 100% atteints, il touchera le max, si non, dommage pour les brouzoufs!), ce pourcentage sur l'embauche des femmes apparaît en toutes lettres. Et ça quelque part, ça me dérange. Un collègue qui n’a pas sa langue dans sa poche m’a sorti quand j'ai changé de job "avec vous Super Boss il a rempli deux quotas, celui des étrangers et celui des femmes, bien joué!". C'est le genre de petites réflexions qu'on entend ici ou là et qui énervent. Devant ma volonté d'essayer de monter un peu dans la hiérarchie, on me dit très souvent "oh bah c'est la bonne période en ce moment, si tu es la seule femme à l'assessment center forcément tu vas le réussir, et si après il y a un poste vacant, c'est toi qui l'aura plutôt qu'un collègue masculin". Moi, je ne veux pas obtenir tout ça parce que je suis une femme, je le veux parce que j'aurais montré avoir les compétences pour être chef d'équipe, et je ne veux pas avoir d'employés qui pensent que je suis devenue leur chef pour atteindre un pourcentage. Toutes ces choses me font dire que ça part dans la mauvaise direction, que c'est contra-productif et que ça va au contraire augmenter le clivage hommes/femmes dans les boîtes. 
Jusqu’à maintenant le fait que je sois une fille, ça ne m’a pas porté vraiment préjudice. Ni vraiment aidé non plus. En école d'ingés, c’est plutôt agréable, on a un essaim de garçons autour de soi qui vous trouvent mignonne, intelligente et intéressante, c’est flatteur, ça fait du bien à l’ego. Mais bon, au bout d’un moment le côté chasse à la belette, ça commence à saoûler un peu, et quand on a de la chance comme moi on tombe amoureuse d’un gentil garçon qui ne faisait pas partie de la troupe des abeilles (aucun rapport avec la choucroute, c'était mes quelques secondes gnan-gnan de la journée).
Après 3 ans de dur labeur en école, on démarre son premier boulot, les collègues vont preuve d’admiration parce que vous avez choisi je cite un "métier d’hommes". De temps en temps on rencontre quelqu’un qui demande si vous êtes secrétaire ou si vous faites partie du bureau du personnel parce qu’une fille qui s’habille en fille et qui n’est pas complètement repoussante dans leurs têtes elle peut pas être ingénieur. Bonjour les clichés.
De temps en temps il y a un chef comme mon premier chef d’équipe qui sort une phrase du genre « je vous ai embauchée pour vos qualifications et votre personnalité, les quotas j'en ai rien à faire. Ah ouais tiens, vous êtes une femme!». Rassurant, tout le monde n'est donc pas contaminé.

Mon avis, c’est que tout doit se faire bien avant, à l’école par exemple. Je dis pas que dorénavant, il faudra pousser les petites filles à jouer aux petites voitures ou à bricoler avec leurs papas en maniant la clé de 12 (pour parler de ce que je connais moi j’étais une petite fille très girly qui aimait les poupées et les fringues roses de princesse et j'en avais rien à faire des voitures de mon frangin), mais je pense que ça fait partie de l’éducation de montrer aux enfants toutes les possibilités qu’ils auront dans le futur et qu’on ne les bloque pas dès leur plus jeune âge avec des arguments du genre "ah non ma chérie, ça c’est pas un métier pour les filles". Dans mon monde de Barbie, rien n'est interdit, aucune porte n'est fermée (malgré tout je peux aussi l'observer chez mes enfants il y a des enclins naturels à certaines choses, Choupinou joue avec un poupon mais il se passionne pour les motos et peut depuis son plus jeune âge rester des heures à regarder un tractopelle, truc dont Choupinette se lasse au bout d'environ 10 secondes et demie).
Ici, ils ont commencé à comprendre que parfois, certaines initiatives peuvent apporter beaucoup, de temps en temps on voit des petits groupes d’adolescentes entre 11 et 16 ans qui viennent visiter l’usine et à qui on montre qu’il y a plein de métiers techniques intéressants où on ne met pas forcément les mains dans le cambouis. J'en ai encadré quelques-unes, certaines ressortant de là en disant "bon, quand même, moi ce que je préfère c'est les langues" mais aussi d'autres chez qui on voit pointer un petit quelque chose "c'était trop intéressant, je voyais pas ça comme ça, vous croyez que je pourrais faire mon stage de lycée dans votre domaine?". Mais d’ici à ce qu’il y ait la moitié de filles dans les écoles d’ingés, la route est encore longue et je ne crois pas que je le verrai de mon vivant. De l'autre côté, je constate que dans la crèche de mon fils, il y avait au départ 1 éducateur (sur un total d'environ 40 personnes) et que 2 ans environ après, le pourcentage de puériculteurs (ça se dit?) s'élève à environ 20%. C'est quand même mieux que si c'était pire...
Alors est-ce que les quotas imposés sont tout de même nécessaires? Sans doute, ça doit être le moyen de lancer la machine, d’habituer les gens à prendre certains réflexes ou à compétences égales, de plutôt prendre une femme pour un certain boulot. Parce qu'une femme quand même, ça peut tomber enceinte, et ça peut décider de prendre un congé parental, alors à part ne prendre que celles qui ont plus de 45 ans, y'a pas de risque zéro. J'espère quand même que viendra le jour où ces questions de pourcentages auront disparu, et où chacun pourra choisir le métier qu'il veut, non conditionné par la société, les médias ou l'éducation. C'est beau de rêver non?

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