lundi 1 août 2011

L'histoire de Choupinette

Aujourd'hui, je me décide à mettre "sur papier" l'histoire de la naissance de Choupinette. 8 mois après, je ressens toujours une immense frustration, parce qu'on m'a "volé" ce qui auraient dû être de bons moments mais qui finalement n'ont été que pleurs et désespoir, et un peu de rancune envers une certaine pédiatre qui nous a fait peur (pour rien, je vous rassure sur l'issue de l'histoire dès le début, même si ça casse le suspens...).

Comme pour Choupinou, la grossesse de Choupinette s'est passée idéalement. Aucun désagrément, une Nana super en forme, un bébé avec tout ce qu'il faut où il faut. Vu l'âge avancé de la maman (on va dire plus près de 40 que de 30 ans...), le tri-test était une étape indispensable (je rappelle qu'en Allemagne, on n'est pas du tout obligé de le faire, il est juste conseillé). Prise de sang, mesure de la clarté nucale, échographie détaillée, je connaissais déjà tout ça de ma première grossesse. Comme la première fois, le grand ponte qui m'a fait faire les examens était très positif, risque de 1/7500 (meilleur que pour Choupinou, bébé éprouvette donc risque augmenté), "ce sont les valeurs d'une petite jeunette de 20 ans Madame" (youhouuuuu), la clarté nucale est nickel (tiens, rigolotte la phrase), à l'échographie tout est impec, "j'ai le plaisir de vous annoncer que c'est une fille", pas besoin de faire d'amniocentèse, le risque de faire une fausse-couche lors de l'opération étant plus important que le risque d'avoir un bébé handicapé. Ca roule, Raoul!

J'accouche par césarienne fin Novembre, ma puce est magnifique, elle commence à téter comme une championne à peine on la pose sur moi... lors de sa première "inspection" on remarque qu'elle a un petit bout de peau à côté de l'oreille et que sa fontanelle est un peu petite. Rien de bien méchant me dit-on, on demandera juste à un pédiatre de jeter un coup d'oeil pour la forme. La journée est un enchantement, ma petiote fait des sourires en dormant, son grand frère passe son temps à lui faire des caresses sur la tête en disant doucement "bébé", je me sens la plus heureuse du monde. Le lendemain, on me dit que la pédiatre va regarder ma louloute comme prévu. Ca dure, ça dure... enfin on me la ramène, toute fraîche lavée, je me dis que c'est pour ça que ça a duré si longtemps. L'infirmière a une drôle de tête et me dit qu'on va faire un petit voyage. Hein quoi? J'ai une césarienne de la veille, je pisse dans une poche en plastique, sûr que c'est le bon moment? Je me laisse quand même faire, parviens tant bien que mal à m'asseoir dans une chaise roulante... on sort de la chambre, l'infirmière me dit "on ne va pas bien loin, mais la pédiatre veut vous parler entre 4 yeux, vu que vous avez une colocataire dans la chambre c'est pour ça qu'on vous bouge". Parler entre 4 yeux, ça n'augure rien de bon. Je commence à avoir une boule dans la gorge, je demande ce qui se passe à l'infirmière, elle ne me dit rien et se contente de répéter "la pédiatre va tout vous dire". On arrive dans la salle d'allaitement, déserte. J'attends quelques minutes et une toute jeune médecin me rejoint. Elle me dit avoir observé Choupinette. La fontanelle, ce n'est pas un problème, elle est dans les normes... le bout de peau, c'est bénin aussi, si jamais ça nous dérange d'un point de vue esthétique on pourra toujours le faire enlever plus tard. L'espace de quelques secondes, ma boule dans la gorge se résorbe. Jusqu'à ce que la pédiatre se mette à faire une tête de 10 pieds de long (le genre de tête où vous savez de suite qu'elle va annoncer une mauvaise nouvelle) et sorte en même temps "par contre, il y a autre chose...". Silence. "j'ai observé Choupinette sous toutes les coutures. Elle a les yeux très en amande. Et puis elle a des petites oreilles, un peu basses je dirais même. Et puis il y a un écart entre ses gros orteils et le reste de ses doigts de pied." Re-silence, je me mets à trembler comme une feuille. "Tout cela, ce sont des signes distinctifs de trisomie 21". À partir de ce moment-là, j'ai été en état de choc. Impossible de parler, impossible de pleurer, juste ce tremblement incontrôlable... la pédiatre continuait à parler, je ne l'entendais plus, je la regardais mais sans la voir. Quelques minutes après, le Mec et Choupinou sont arrivés. Souriants. Jusqu'à ce que le Mec voit ma tête et demande "ça va?". J'ai juste eu la force de répondre "non, ça va pas". Et la pédiatre a refait le même discours: les yeux, les oreilles, les pieds, les doutes... le Mec a fondu en larmes. Puis il s'est repris, et il a posé des questions, moi j'étais toujours prostrée, seulement concentrée sur le fait de retenir mon drain qui glissait sans arrêt. "Les yeux en amande, c'est de famille" qu'il a dit. "Oui, mais..." a répondu la pédiatre. "Tous les tests faits pendant la grossesse étaient parfaits" a-t-il ajouté. "Oui, mais ils sont loin d'être fiables" a répondu la pédiatre. Elle a quand même fini par nous donner quelques notes d'espoir, à savoir que notre princesse avait certes ces signes qui pouvaient laisser penser que... mais qu'il y avait un certain nombre d'autres signes typiques qu'elle n'avait pas. Elle nous a ensuite indiqué la suite des événements: ma puce allait être conduite en néo-nat pour être mise sous monitoring (les enfants trisomiques ont souvent des problèmes de coeur), son sang envoyé pour analyses chromosomiques dans un laboratoire spécial en ville. Le reste de la journée est passé comme dans un mauvais rêve. C'est le soir, au moment où le Mec m'a embrassée et serrée avant de rentrer à la maison que j'ai craqué: les larmes ont commencé à couler et ne se sont plus arrêtées. Les jours suivants (presque une semaine) ont été très durs. 3 fois par jour on me faisait traverser la clinique en chaise roulante pour aller allaiter ma fille attachée à des électrodes au milieu des prémas. Quelques heures à nourrir ma petite, à la bercer, à verser des larmes sur elle en lui murmurant qu'elle était la plus belle et qu'on allait y arriver tous ensemble. Une semaine à faire le relais avec le Mec parce que pas le droit d'entrer à plusieurs en néo-nat et encore moins le droit d'y amener Choupinou porteur de potentiels microbes. Choupinou qui demandait sans arrêt "bébé, où bébé?" et me caressait la joue en me voyant pleurer. Une semaine toute seule dans une chambre, avec les douleurs de la césarienne, à me faire des films sur ce qui allait peut-être devenir notre vie, une vie avec un enfant pas tout à fait comme les autres. Une semaine de montagnes russes, entre l'espoir, le désespoir et la résignation, et peu d'heures de sommeil. Une semaine où le Mec passait ses nuits sur Internet à taper sur Google "signes trisomie" et lisait tout et son contraire... Une semaine bercée par le soutien des copines, des infirmières, de la famille aussi abasourdie que nous. Une semaine au bout de laquelle j'avais des centaines de cheveux blancs en plus (véridique!).
Le retour à la maison s'est fait sous la neige, sans résultats définitifs à part une échographie du coeur qui prouvait que Choupinette ne souffrait d'aucune faiblesse de ce côté-là, c'est ce qui a permis qu'on puisse sortir. Dans mon environnement habituel, avec ma fille dans les bras, le moral est remonté, avec des hauts (elle tétait comme une chef alors que les bébés trisomiques ne le peuvent souvent pas) et des bas (crise de larmes à chaque fois que la chanson "just the way you are" passait à la radio). Et puis, un jeudi de Décembre, en début d'après-midi, la sonnerie du téléphone. Le Mec répond, écoute quelques secondes, dit "oui, je suis le papa". Mon coeur bat à 1000 à l'heure, je scrute son visage à la recherche du moindre indice, il appuie sur la touche du haut-parleur et une voix remplit la pièce: "nous avons les résultats des analyses chromosomiques: votre fille est en parfaite santé et elle n'est pas atteinte de trisomie 21". Je ne pensais plus avoir de larmes, mais celles de soulagement ont coulé de longues minutes...

Je crois que je ne réussirai jamais à penser à la naissance de Choupinette sans que toutes ces émotions ne remontent à la surface. Je regrette cette semaine où je n'ai pas pu apprendre à connaître ma fille tout en me disant que cette semaine est bien peu de temps à côté de tous ces moments magnifiques que je vis avec elle depuis, et tous ceux qui sont à venir. J'en veux un peu à cette pédiatre inexpérimentée qui a préféré nous faire peur pour assurer ses arrières, mais d'un autre côté je me dis que c'est le rôle du médecin de faire cela s'il a le moindre doute.
Tous les jours je regarde ma puce, ses magnifiques yeux bleus en amande, ses petites oreilles délicates, ses petons que j'ai envie de croquer sans arrêt (voir photo ci-dessus), et je sais que même s'il s'était avéré qu'elle ait été "différente" elle aurait été aimée de la même façon... et je ne peux m'empêcher de fredonner:

"When I see your face
There's not a thing that I would change
Cause you're amazing
Just the way you are
And when you smile
The whole world stops and stares for awhile
Cause Girl you're amazing
Just the way you are" 
(Bruno Mars, 2010)

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